Réflexion par Anne Chabert d’Hières

Posted on sept 22, 2014
‘Visage’ William Aknin

William Aknin, ‘Visage’, L’Arche Paris, France

Artiste : William Aknin
Titre : ‘Visage’

Article édité paru dans la Lettre des Nouvelles de l’Arche à Paris, juin 2011, no. 21

ARTISTES AMATEURS… ET AMATEURS D’ART
Y a-t-il des artistes à L’Arche à Paris ? Toute personne qui s’exprime avec talent dans un art devient-elle artiste ? Les œuvres sensibles et impressionnantes dans le contexte institutionnel seraient-elles signifiantes dans le monde des arts ?

Depuis toujours, nous proposons à l’Atelier de l’Arche à Paris des activités artistiques. Elles sont de formidables vecteurs pour l’expression et la libération de celui qui s’y adonne. Inviter à l’imagination, au geste créatif, à la recherche esthétique est l’un des axes de plusieurs de ces activités. Nous en vérifions l’intérêt par la joie et les progrès des personnes qui participent aux ateliers de peinture, sculpture, musique, photo, danse ou autres… La portée pédagogique, voire thérapeutique, des disciplines artistiques est donc une certitude.

Mais de là à parler d’œuvre d’art, il y a toute une réflexion à mener. Nous devons être exigeants avant de proclamer artiste tel ou tel. En effet, une précipitation naïve pourrait avoir l’effet contraire de celui que nous souhaitons, le but étant de permettre à des regards autres que familial ou institutionnel de se laisser toucher par la sensibilité de travaux réalisés par des personnes, souvent marginalisées du fait de leur handicap.

Dans cette réflexion, nous avons eu la chance d’entendre Philippe Hélénon sur sa longue expérience de peintre et d’art-thérapeute qui accompagne dans son atelier des adolescents en difficulté :
“J’ai vu des œuvres qui pouvaient être situées dans l’art contemporain… Mais je résiste à embarquer son créateur dans un vernissage, de ma seule initiative. Si l’œil du peintre voit l’œuvre et aimerait la faire connaître, le thérapeute doit vérifier qu’une exposition ne s’accapare pas le travail de l’artiste.
Un artiste est un perturbateur. Il est un empêcheur de penser en rond. Il est reconnu quand le public finit par intégrer ce qu’il amène de neuf. L’artiste fait des liens que les gens ne font pas. Certaines œuvres de personnes qui ont un handicap permettent ces accès directement. Mais dans notre société, l’artiste a un discours, un processus. Les personnes handicapées n’explicitent pas leur travail sur ce mode. Si ce discours est fait par un tiers, vous par exemple, il peut y avoir effraction ou vol. On risque aussi de re-déterminer l’œuvre dans un autre champ, d’éloigner son créateur de son domaine.”
Nous l’aurons compris, avant d’avoir un projet d’exposition ou de performance, il faut s’armer de respect et s’appuyer toujours plus sur le désir des personnes que nous accompagnons. Ils montreront le chemin!

Et Angeline Brassens nous le montre clairement. Elle fait partie des personnes qui nous poussent à aller plus loin dans une démarche artistique. Consacrer plus de temps, et plus d’espace à son travail pictural, en parler, le présenter, l’exposer… Lors de notre vente aux enchères parrainée par Jean-Charles de Castelbajac et la Salle Drouaut en 2013, consacrée à des œuvres d’art, vins, et spiritueux, elle a vu partir l’une de ses toiles « Expression d’Automne », parmi des œuvres d’artistes connus. Sa fierté était manifeste et méritée.

Pour compléter ce propos, voici la retranscription d’une conversation entre plasticiens lors de la visite de  Jonathan Hirschfeld, sculpteur, et sa femme Mariana, à l’Atelier de L’Arche à Paris. William Aknin une personne qui a un handicap les guide.  Il leur montre une sculpture qu’il a intitulée : Jo Dassin.

— Comment tu fais ça ?
W : Avec des plâtres.
— D’où est venue ton inspiration ?
W : On est allé voir Beaubourg.
— Tu t’es inspiré de Nicky de Saint-Phalle ?
W : Oui. Avec mon imagination, c’est moi qui ai fait ça. C’est une fausse guitare.
— La prochaine fois, tu pourrais faire un bras, dessus.
W : Ah ouais ?
— Avec tes dessins, tu pourrais dessiner et imaginer les épaules et tu pourras ensuite créer les volumes. Tu sais peindre?
W : Non. Un petit peu.
— Avec ce que tu sais peindre, tu peux préparer tes sculptures. Regarde comment elle change quand tu tournes ta sculpture. Selon l’angle de ton regard, il y a plein de tableaux dans ta sculpture.
W : Ah d’accord. C’est beau, hein !


Anne Chabert d’Hières 
Anne Chabert d’Hières est en charge du projet « Inclusion » pour L’Arche Internationale, elle est également éditrice pour le français au sein de l’Equipe Internationale de Communication. Elle donne voix aux personnes ayant l’expérience du handicap dans différents documentaires et projets dans les media tels que « L’épreuve des mots”. Elle est membre de L’Arche Paris, France, depuis la fin des années 70. Elle anime des sessions de formation dans sa community, à “L’Arche en France” et en dehors de L’Arche. Elle a travaillé comme éditrice pour les éditions “Fleurus”, et en freelance.